{ kiss me hard before you go }
(2004) Elle reprit un peu d'élan, recula jusqu'à sentir ses pieds se tendre, en suspension sur leur pointe, et relâcha finalement sa pression, la balançoire l'élevant au dessus du sol. Elle ferma les paupières, ferma un peu plus fermement ses doigts sur les cordes. Ses cheveux blonds battaient parfois dans son dos, avant de revenir lui chatouiller les joues. La nuit n'allait pas tarder à tomber, le soleil tirerait sa révérence et demain quand elle se lèverait tout changerait. Dana laissa entendre un léger soupir, secoua la tête comme pour chasser les idées qui venaient assombrir aussi efficacement que des nuages son moral. « Je ne t'ai pas vue dans la foule. » la voix masculine s'éleva dans son dos, et elle n'eut pas besoin d'ouvrir les paupières pour la reconnaître, un sourire en coin se dessinant sur ses lèvres. « Qu'est-ce que je serais venue faire là-bas ? » répondit-elle en jetant un regard vers l'arrière, le sourire mutin s'élargissant quand un rire moqueur s'échappa du jeune homme. Il prit place à côté d'elle, sur la deuxième balançoire, et se laissa également porter par le mouvement. « Tu ne comptais même pas me dire au revoir ? » William glissa un regard taquin vers elle. Elle avait passé trop d'années à ses côtés pour donner le moindre crédit à ses paroles ; Will l'avait peut-être cherchée des yeux quand on lui avait remis son diplôme de fin de lycée, mais constater son absence ne l'avait en rien affecté. Et si elle ne l'avait pas croisé avant son départ pour Los Angeles demain matin, son cœur n'en aurait pas été blessé pour autant. Son cœur à lui ; son cœur à elle on n'en discutait pas, on le laissait caché dans un coin en lui interdisant tout droit de se plaindre, tout droit de lui demander de rester pour elle. Il ne resterait pour personne, Will était trop indépendant pour cela, et elle beaucoup trop fière pour lui demander de couper court à ses rêves pour ses jolis yeux. Quelle égoïste elle aurait fait en lui demandant le cœur au bord des lèvres, s'il l'avait vraiment regrettée lors de cette remise de diplôme ; quelle niaise elle aurait fait en lui demandant si elle allait lui manquer quand il serait là-bas, dans cette grande université, à jouer à l'apprenti reporter, à boire avec des filles plus expérimentées, plus intelligentes qu'elle. Dana haussa simplement les épaules. « Je n'en avais pas l'intention. » elle détourna les yeux, préférant les perdre vers le ciel. Will se leva, et ses mains attrapèrent fermement les cordes de sa balançoire, coupant Dana dans son élan. Elle plissa les lèvres, et une moue contrariée froissa son visage. « Est-ce que tu sais à quel point tu m'énerves Dana ? » Dana arqua un sourcil, refusant pourtant de comprendre. « Allez barre toi, embrasse les étudiantes pour moi. » la jeune femme roula des yeux, afficha une mine taquine. « tu reviendras quand je te manquerai. » William éclata de rire, lâcha enfin les cordes de la balançoire. Rapidement, il se pencha vers elle pour embrasser ses lèvres. Un simple baiser comme ils s'en étaient échangés des centaines durant ces années passées au lycée de Redwood. Un simple baiser mais qui ce soir, avait des goûts d'adieu pour Dana qui resta interdite un instant, les paupières closes, se refusant le frisson qui semblait vouloir la parcourir. Quand elle les rouvrit, William se tenait à quelques pas d'elle, les mains dans les poches de son jean et la dévisageant de cet air narquois dont il avait le secret. « je te manquerai d'abord Meriwether. »



{ then they took you away-stole you out of my life }
(2014) Quand elle sortit enfin de la salle de bain, elle l'aperçut assis sur le rebord de la fenêtre, une cigarette coincée entre les lèvres. Une des siennes reconnut-elle à l'odeur âcre que renvoyait la fumée. Elle s'approcha, roulant inutilement des hanches et faisant claquer ses talons sur le parquet de la chambre au lit défait. Souple, elle arrondit le dos pour attraper ses boucles d'oreilles négligemment laissées sur le sol, offrant par la même le coup d'œil facile sur son décolleté. De nouveau droite, Dana eut juste le temps d'attraper le paquet de marlboro que lui lançait William, en délogeant une, réduisant la marge qui les séparait encore et se penchant sur la flamme du zippo qui dansait sous ses yeux. Merci, articula-t-elle en recrachant la fumée, tête légèrement penchée vers l'arrière. Pouvait-on la voir ? Si un passant avant levé les yeux à cet instant, jeté un regard distrait en direction du premier étage, les aurait-il repéré tous les deux ? Et qu'aurait-il pensé ? D'une bête évidence, l'homme et la femme se trouvaient dans leur chambre, et la chemise aux boutons ouverts de l'homme suggérait l'intimité. Si le passant connaissait monsieur Hawtorn, un oh de surprise aurait gagné ses lèvres, car cette blonde n'avait rien de la fiancée bien connue de ce dernier. Dana tourna le dos à William, ramena ses cheveux blonds sur son épaule. La fermeture de sa robe grise n'était pas entièrement remontée. « Tu pourrais ... » ne termina pas sa phrase en sentant les doigts du jeune homme l'effleurer, le métal de la fermeture lui arracher un frisson. Ou était-ce ses lèvres traînant dans son cou ? Dana ne s'accorda pas le plaisir de le faire durer, s'écarta rapidement en attrapant son sac à main. « Je m'en vais. » déclara-t-elle, arquant un sourcil. Will reboutonna l'un des boutons de sa chemise, ne lui accorda pas le moindre regard, tapotant sa cigarette au dessus d'un cendrier pour en faire tomber la cendre. « Je repars demain matin. » continua-t-elle d'un ton de conversation, glissant une de ses mèches de cheveux derrière son oreille. Elle n'avait que trop traîné à Redwood ; était là depuis maintenant deux semaines, avait promis à son agent de rentrer dans l'Illinois avant lundi dernier, était de toute évidence en retard et s'écouterait reprocher tout un tas d'histoires présentes et passées en foulant de nouveau les rues grises de la ville des vents. Un sourire amusé éclaira même le visage de la romancière quand elle imagina l'air atterré qu'afficherait immanquablement Clara en la voyant revenir comme une fleur, prétextant d'une moue faussement désolée un problème de batterie sur un portable qui n'en avait encore jamais connu. La voix de William la rattrapa enfin, tout comme le fait qu'elle se trouvait encore dans cette chambre, droite et une cigarette coincée entre ses doigts. Qu'attendait-elle pour bouger ? L'adieu qui ne viendrait jamais ? « Quoi ? Ne me dis pas que tu attends que je te retienne. » Il s'approchait de nouveau, le rire aux lèvres. Dana fronça du nez. « Pourquoi tu ferais ça ? » Dana croisa les bras sur sa poitrine, levant vers le journaliste un regard dénué de toute interrogation. Si les années avaient changé leurs traits, elles n'avaient pas réussi à entamer leurs caractères et, aussi efficacement qu'elle aurait pu prédire les humeurs de son agent, Dana connaissait cette lueur moqueuse dans les yeux de son ami. Will s'approcha d'un pas, s'agita en posant une main sur son cœur. « Parce que je t'aime comme un fou depuis des années. S'il te plait Dana Meriwether, reste avec moi. » Le Roméo au rabais glissa sa main dans la sienne. Levant les yeux au ciel et récupérant sa main, Dana écouta le rire de l'homme emplir la pièce. « Quel jeu d'acteur. » Le poussa en reculant à son tour, prête cette fois à quitter la chambre. « Barre toi, embrasse je ne sais qui pour moi. Tu reviendras quand je te manquerai. » l'entendit-elle prononcer. Se souvenait-il vraiment de ses adieux bidons, prononcés des années auparavant ? Quand ils n'étaient encore qu'adolescents, quand son cœur ne battait alors que pour lui et qu'il avait fui comme un prince plus qu'un voleur vers un autre état ? Dana riva un regard taquin vers lui, pointant un index victorieux sur son torse. « je te manquerai d'abord Hawtorn. » Sa raison s'échappa, laissa sa place à l'envie brusque d'embrasser ses lèvres, comme un énième rappel de cette soirée de juillet. Elle sentit sa main glisser sur sa nuque, son pouce caresser sa peau. Son geste, d'une douceur inhabituelle la laissa interdite. William brisa enfin le baiser, déposant rapidement ses lèvres sur le front de la jeune femme avant de retourner à ses dossiers éparpillés sur le bureau. « Sonia risque de rentrer d'ici une heure. File. »